Idrissides, Miknassa, Maghraoua
A- IDRISSIDES
En 788 nous voyons entrer en scène un personnage capital IDRISSI BEN ABDALLAH. Avec lui le Moghreb Musulman prend un de ses aspects définitifs: l'autonomie complète du Maroc. Cela va sûrement changer, notablement, le rôle du Seuil de Taza. Idriss 1er est devenu un personnage légendaire, un héros mythique du Maroc.
Il est tout à fait curieux de comparer à ce sujet la façon absolument négligente dont en parle un syrien comme IBN EL ATHIR en 1230 et l'importance qu'il prit au Maroc.
Il est à signaler surtout quel tissu de contradictions relève, à son sujet, dans IBN KHALDOUN et EN NACIRI, bien que l'historien récent semble pour une fois un guide plus sûr qu' IBN KHALDOUN, lequel s'est contenté en la matière de recopier, assez servilement, ce document dangereux qu'est le Qirtas. Un point hors de doute, c'est que ce sont les tenants des Aouréba, qui furent les premiers soutiens d'Idriss et qui le proclamèrent Calife.
En Naciri nous dit que les Saddina et les Maghila se rallièrent à lui les premiers. Or, dans les uns il faut voir les Béni-Sadden qui occupent encore le plateau entre Sebou et Innaouen au débouché Ouest du Seuil.
Quant aux Maghila, nous avons supposé qu'ils étaient répandus, quelques années auparavant, sur les contreforts du Moyen Atlas entre le pays Ghiata et Sefrou. Les uns et autres étaient à des emplacements tout à fait normaux pour appuyer le mouvement parti d'Oulili.
La liste que donne IBN KHALDOUN des premiers soutiens d'Idriss: Zenata, Zouagha, Sedrata, Miknassa, Ghiata, Nefzaouia, Ghomara.
Si nous examinons la carte actuelle des tribus nous voyons-là une liste de celles environnant Fès et occupant le couloir de Taza au 14ème siècle. Elle est juste.
Si nous apprenons qu’Idriss a recruté des troupes parmi les Senhadja, Haouara, pour partir à la conquête du Tamesma et du Tadj nous n'avons la qu'un complément de cette liste. Mais vraiment il est difficile d'admettre que toutes les tribus qui ont suivi Ibn Roustem en 761, et sur lesquelles il s'est appuyé pour fonder son empire, aient fui vers le Seuil dès avant 788 alors que Tiaret ne devait être battu qu'en 908.
Certes, on sait qu'Ibn Roustem fut mis en déroute en 766 au Tabn; mais comme Omar Ibn Hafs ne le poursuivit pas, on ne voit guère de raison, pour une fuite, jusqu'au Seuil de Taza.
Il serait d'ailleurs curieux de voir un Alide comme Idriss trouver ses premiers appuis parmi des Ibadites tels que les tribus de Roustem.
D'autre part, nous retrouverons une tradition absolument contradictoire au sujet des Ghiata cette tribu, dont aucun généalogiste parle, se serait formée seulement sous le règne d'Idriss II.
Ce qui parait plus intéressant ce sont les noms des tribus auxquelles Idriss s'attaqua : les Fendlaoua, Bahloula et Médiouna. Médiouna et Bahloula sont de Sefrou. Mais les Fendlaoua semblent être une vieille tribu du Seuil, n'ayant laissé que des souvenirs toponymiques vers le Bou Hellou.
L'indication relative à ces trois tribus est intéressante, car elles sont signalées comme juives et chrétienne. Or les Fendleoua étaient les voisins immédiats du limes de Bou-Hellou; prés de ce point qui avait été quelque peu romanisé. Nous en retrouvons les traces dans les vestiges à l'ancienne ferme Leca, où 147 pierres taillées ont été déterrées en 1949. I l est possible qu'il y ait eu des chrétiens, de même que les Médiouna et les Bahloula, voisins de Sefrou, la citadelle du Judaïsme, pouvaient fort bien être juifs.
Enfin EL BEKRI (géographe du IIème siècle) parle de l'entrée d'Idriss à Taza en 790. Tout cela s'enchaîne très bien. Idriss s'appuie d'abord sur les Aouréba. Il apprivoise un ensemble de tribus comprises entre le Oulili et le Seuil de Taza. Il soumet un certain nombre de tribus montagnardes d'abord, vers le Seuil. Muni alors de ces troupes solides i l part à la conquête du Maroc, Nous voyons donc que le Seuil de Taza aura été pour Idriss une base de départ. Il est bien symptomatique que la première dynastie marocaine ait eu un point d'appui essentiel en ce lieu.
Avec Idriss II la légende continue, toutefois les indications sont plus précises et semblent avoir plus de valeur. On nous parle d'abord des Matghara et de leur chef Bahloul Ibn Abdel ouhed.
Les Matghara auraient été les alliés de la première heure. Il s'agit sans doute de ceux dont la trace est restée autour de Taza. Le Gouverneur arabe Ibn AGHLEB aurait ensuite gagné leur chef par des présents. Puis Idriss II tue Abou SAD ISHAQ chef des Aouréba.
Ces deux événements permettent de supposer que les chefs des tribus de soutien ont cherché de profiter de la jeunesse d'Idriss II pour se rendre l’indépendant.
Etant Donné que nous trouvons encore une fois, une grande confusion dans les historiens arabes. On peut noter avec tout autant de vraisemblance, une tradition de tribu dans les indications des chroniques.
Or, il est de tradition chez les Ghiata que leur nom primitif était IGHATA (إغاثة), c'est-à-dire "Aide" et qu'ils se constituèrent par le rassemblement de guerriers d'origines diverses venus à l'aide d'Idriss II.
Evidemment Il ne faut admettre semblable tradition qu'avec beaucoup de circonspection, mais on est frappé de constater:
1- Que "Metghara" est un nom porté actuellement par toute une moitié de ces Ghiatas alors que précisément le chef de Metghara s'était laissé corrompre par Ibn El Aghleb.
2- Que la confédération des Ghiatas est incontestablement un mélange d'éléments très divers.
3- Que les montagnes du Sud du Seuil de Taza ont constitué semble-t-il, le réservoir de guerriers des Idrissides.
Les Ghiatas sont trop proches de Taza pour que nous n'étudions pas en détail la documentation si incertaine soit-elle, que nous fournit l'histoire des idrissides, d’autant que par la suite nous ne trouverons à peu près rien jusqu'au 19ème siècle.
Or nous avons vu le Qirtas nommer les Ghiata parmi les tribus qui ont reconnu Idriss 1er. Mais à quelques lignes d'intervalle, le Qirtas nous indique qu'Idriss alla s'emparer des citadelles des Ghiatas qui étaient juifs ou chrétiens. Tout cela semble bien contradictoire, pourtant il y a là des éléments intéressants.
Nous avons vu que la liste des tribus alliées d'Idriss 1er ne peut avoir qu'une valeur de localisation géographique.
L'hypothèse de Metghara lâchant leur chef traître à Idriss, correspond assez bien à l'hypothèse que ces mêmes Metghara aient été parmi les soutiens d’Idriss 1er. De plus, cette fusion d'éléments Metghara avec des éléments divers ne peut s'expliquer parmi les peuplades à base tribale, que par une unité d' intérêt et de direction assez prolongée; elle ne pouvait se produire sous Idriss 1er.
Enfin, il y a un certain nombre de la fraction Ghiata que la tradition considère d'origine juive, (en particulier dans les Béni- tradition déjà vue Bouguittoun). Si nous ajoutons la tradition déjà vue et relative à l’origine romaine des Beni-Oujjane quoi d'étonnant à ce qu'Idriss ait trouvé sur les pentes du Moyen Atlas des éléments juif et chrétiens qui ne sont dénommés Ghiata que par un simple anachronisme.
La présence de juifs dans ce Seuil est-elle surprenante où les juifs venus au Maroc ont-ils pu s'installer et se livrer à l'apostolat? le long d'une Evidemment voie de pénétration et dans emplacements où puissent aisément se défendre leurs groupements assez frêles le Seuil de Taza était tout indiqué.
Debdou et la région de Sefrou furent dans le même cas. Il semble donc que la tradition locale ne soit pas pourvue de vraisemblance que trahison de dans la Bahloul ait entraîné la création d'une confédération à base de Metgharie ou se soient agrégés en particulier d'anciens éléments juifs et chrétiens (Béni Bouguittoun, Béni Oujjan, Fendlaoua). Ce groupement souple était bien entendu loin de sa forme définitive et perméable à toute sorte d'adjonctions futures.
Quant à sa localisation exacte, il est certain que ses "citadelles", ses montagnes inexpugnables supposaient un habitat reculé dans le Massif du Moyen Atlas. Mais l'installation des Ghiatas dans leur habitat de la vallée est un fait trop récent pour qu'il soit utile d'insister.
A la mort d'Idriss II le partage entre ses fils a encore été un sujet de confusion historique.
Daoud aurait eu Tsoul, Taza, les Haouara les tribus Miknassiennes et les Ghiatas. Il a construit la jolie mosquée d' Ali Ben Daoud, à Taza. A la suite de l'historien de Slane, on a étiré le royaume de Daoud jusqu'à l'Habra, à l'Est d'Oran.
Enfin on peut justifier la présence des Haouara, mais cela est peu admissible d'autant plus que Souléima avait, pour sa part, la région de Tlemcen. Ce partage est évidemment un tissu d'anachronismes (IBN KHALDOUN n'y parle-t-il pas de Meknès et de Salé ?).
Il est intéressant, malgré tout car il faut y voir Sous les désignations anachroniques de tribus, des indications géographiques. Il marque donc que le Seuil de Taza et ses abords sont considérés dès ce moment comme un ensemble défini.
Vers 875 nous voyons les Ghiata reprenant les traditions Kharéjites des Metghara se joindre aux Médiouna d'Abderrezak pour tenter un mouvement Cofrite. Ali Ben Omar Ben Idriss se réfugie chez tandis les Ouerbas, qu'Abderrezak entre à Fès.
Nous voyons donc le premier prétendant sérieux, à la succession des Idrissides, s'appuyer sur les Ghiata c'est-à-dire sur les montagnards du Seuil. Le mouvement était d'ailleurs bientôt étouffé par un autre Idrisside.
En résumé, la période Idrisside nous aura montré la première dynastie marocaine s'appuyant sur les tribus du Seuil de Taza. Elle aura donné naissance à la confédération Ghiata fusion par la d'éléments divers provenant d'anciennes tribus émiettées. Ces éléments auront trouvé dans le milieu rude et tonique de la montagne un souffle nouveau.
Ces Ghiatas, d'abord solides appuis de la dynastie naissante se- ront pourtant le soutien du premier prétendant qui cherchera à la supplanter. Combien de fois verrons-nous ces événements se répéter au cours de l'histoire.
La tentative d'Abderrezak n'a pas réussi. Le Seuil de Taza va fournir, néanmoins, peu après, les vainqueurs des Idrissides.