Successeur de Moussa
Nous entrons en 939 dans une période de quarante ans, plus confuse que la précédente.
Il semble dans cet intervalle, que les Béni Abil Afia soient restés, dans l'ensemble, les maîtres de la région de Taza. Mais leur rôle est secondaire, ils sont de simples vassaux.
Vers 952, le calife de cordou Abdheraman Naceur étendit sa suzeraineté sur tout le Maroc avec l'aide de ses alliés Zénètes et Miknassa.
En 958 les Béni Ifren seraient passés par le Seuil, pour aller s'installer vers Tanger, aux frais de leur Chef nommé Gouverneur.
Il semble que cette indication du Kitab El Tstiqça soit erronée et qu'il s'agisse d'un sérieux anachronisme.
Cette arrivée des Béni Ifren qui auraient traversé, sans raison, le Seuil de Taza pour aller à Tanger est assez problématique, d'autant qu'ils étaient alors les alliés des Miknassa sous l'égide d' Abdheraman.
Par contre, en 958 a eu lieu la grande expédition de Djouher, qui passe par le Seuil de Taza pour attaquer Fès. Il ne peut enlever cette ville, retourne vers Sijilmassa et reviendra prendre Fès après un vaste périple dans le Sud.
Le fait est intéressant. Il nous montre cette armée formidable conduite par le futur conquérant de l'Egypte, incapable d'emporter Fès malgré l'appui des zerides et des Maghraoua. Ceci prouve l'importance capitale du Seuil de Taza pour la possession de Fès qui est incontestablement le cœur du Maroc.
L'armée de Djouher avait évidemment traversé le Seuil. Une armée solide peut toujours y arriver, mais les Miknassa tenaient le pays et pour prendre Fès, Djouher dû faire un détour gigantesque de façon à la prendre à revers. Mais cette brillante campagne ne pouvait avoir de suite.
Dès 961 le Gouverneur Fatimide de Fès est mis à mort pour trahison et El Hassan Ben Kennoun, Idrisside du Rif, concourt au retour du Maroc et à l'obédience fatimide.
Il semble que le rôle des Miknassa pendant toute cette période soit essentiel, bien qu'il soit assez mal précisé par les historiens.
Parmi toutes les tourmentes qui ont secoué le Maroc dans cette période curieuse où nous voyons Kairouan et Cordoue se disputer le Maroc, Ibn Khaldoun nous précise que les Béni Abil Afi continuèrent à régner sans discontinuer. Il insiste d'ailleurs sur les faveurs dont les
Khalifes Omelades les comblaient.
Quand on voit le silence absolu des textes à leur sujet pendant cette période, silence qui contraste étrangement avec le récit des difficultés où se débattent les Idrissides établis par les Ghomara, on est obligé d'admettre que les faveurs obtenues par les Miknassa correspondaient à un service rendu, obscur, certes, mais essentiel.
Or, jamais ces Miknassa n'ont barré la route aux expéditions fatimides. On doit donc, supposer qu'ils continuaient la tradition de Moussa, se renfermant dans leur montagne quand un envahisseur survenait et reprenant leur essor dès que l'envahisseur avait quitté les lieux, ils constituaient alors une menace terrible pour Fès et les plaines du Moghreb et apportaient une aide décisive à la reconquête des Omeiades.
Ceci devait durer jusqu'au jour où une autre tribu s'installant dans le Seuil allait les supplanter dans leur office de molle résistance.
C- MAGHRAOUA
En 975 nous voyons apparaître les Maghraoua dans l'histoire du Maroc et du Seuil de Taza.
Nous apprenons qu'un Gouverneur fatimide Djafer Ben Hamdoun passé au service de Cordoue vient prendre la direction des Zénètes (Béni Ifren et Maghraoua) et des Miknassa, pour le compte d'El Mostancer.
On nous précise que Djafer régla les dissentiments qui s'élevaient entre Maghraoua et Miknassa en envoyant les Maghraoua à la conquête de Sijilmassa. Ce qui explique que Maghraoua et Miknassa étaient depuis longtemps covassaux de Cordoue, mais cette harmonie provenait de ce que la Moulouya et les steppes du Maroc oriental les séparaient.
Refoulés en 973 par Bologguin les Maghraoua étaient venus s'ins- taller par delà la Moulouya, à l'entrée du Seuil de Taza. Ils s'y trouvaient en contact trop direct avec les Miknassa, pour que leurs deux groupements turbulents ne se dressent pas l'un contre l'autre. En 980 Bologguin revint à la charge, prit Fès de nouveau, enleva Sijilmassa et écrasa les Zenètes qui occupaient le Maroc oriental et le Tafilalet. Un exode général s'ensuivit. Les Maghraoua se seraient jetés dans les montagnes qui bordent le Seuil de Taza tandis que les Béni Ifren poursuivis par Bologguin, se réfugiaient vers Ceuta.
Or, si nous examinons les traces laissées par les Maghraoua dans le Seuil de Taza, nous y constatons l'existence de deux groupes il y a une tribu Maghraoua d'abord vers Bou Mehiris, entre les bassins de l'Oued Larba et du M'Soun. Par ailleurs aux abords Sud de Taza, les Maghraoua constituaient une des trois factions des béni Bouguittoun de la confédération Ghiata. Plus au Sud, enfin il y a également un groupe de Maghraoua englobé dans les Ahel Telt des béni Ouarain, mais ce groupe a certainement la même origine que le groupe Béni Bouguittoun. Tous les Ghiatas, ont en effet subi, il y a un ou deux siècles, un refoulement général Sud-Nord.
Il y a donc tout lieu de croire que l'installation de Maghraoua date de l'immigration de 973 ou de celle de 981. Mais on peut préciser l'hypothèse et supposer, avec quelque vraisemblance que ces deux groupes très distincts correspondent chacun a l'une des migrations.
Lors du premier mouvement les Meghraoua de bou Mihiris seraient venus s'installer au débouché du Seuil sur la Moulouya. Quant aux Meghraoua des Béni Ouarain et des rattacheraient au Groupement refoulé de la retraite de 981. L'histoire de ces Maghraoua va alors se précipiter. Bien entendu, la domination Ziride ne tient pas, malgré la campagne active des Bologguin.
En 982 ce dernier meurt à Waokin (peut-être l'actuel Ouarguin, près de Taza), au moment où il allait réprimer un soulèvement à Sijilmassa. L'Idrisside El Hassan Ben Kennoun, vassal des Zirides subi un échec lamentable en 984. I 1 a bien pénétré vers Fès en traversant une fois de plus le Seuil, mais il se trouve encerclé entre les Maghraoua et les troupes Omeiades, et capitule.
Désormais, les Maghraoua, renforcés par cette victoire et appuyés par les Omeiades, ne laisseront plus revenir les Zirides. C'est ainsi qu'une tentative d'Itouweft fils de Bologguin, est repoussée probablement au passage du Seuil.
Les Meghraoua furent des guerriers, ayant bien plus d'allant que les Miknassas, qui n'étaient que de vulgaires brigands. Ils ne continuèrent pas la tradition peu reluisante de la méthode miknasienne qui consistait à fuir devant les attaques vigoureuses.
Les Kalifes Omeyades sentant que les Maghraoua sont leur meilleur soutient comblent d'honneurs Ziri ben Atva leur chef. Il est charge de reprendre Fès aux Ifrenides et est nommé Gouverneur de cette ville qu'il a enlevée de haute lutte (991). Puis, chargé également du Moghreb central il prend Tlemcen et étend sa domination du Gharb au Zab.
Une fois de plus, une tribu ayant son point d'appui dans le seuil se sera taillé un vaste fief.
Ziri aménage son royaume. En dehors de la fondation d'Oujda, où il s'installe, i l semble que ce prince doué de certaines qualités d'organisateur, ait porté un sérieux effort sur la fortification de
Taza;
Il avait en effet un intérêt d'autant plus grand à aménager un point d'appui solide à Taza, que, résidant à Oujda sa capitale, il lui fallait absolument assurer ses communications avec Fès.
La tradition locale lui attribue l'édification des remparts dont la tour sarrazine, est le vestige essentiel. Cette tradition comporte quelque vraisemblance. Tout le monde est d'accord, d'une part sur l'ancienneté de ce vestige, d'autre part sur les qualités de sa construction. Etant donné les relations très étroites qui liaient au début, Ziri et le Calife de Cordoue l'hypothèse d'une citadelle construite sous la direction de maçons espagnols, expliquerait le fait.
La Mosquée des Andalous serait aussi un vestige du règne de ZIRI. L'édifice actuel a été, en effet, reconstruit sur les restes d'une ancienne Mosquée attribuée par certains, à ce prince.
Malgré toutes ses qualités, Ziri devait bientôt subir un définitif. S'étant mêlé à une intrigue de cour, il s'attira la vengeance échec du grand Vizir El Mansour qui envoya un de ses généraux prendre la direction des tribus qui pouvaient avoir quelques griefs contre les Béni Atya (996).
Nous voyons au premier rang de ces tribus, les diverses confédé rations du Rif et les Miknassa qui saisirent l'occasion de reprendre le commandement des massifs bordant le seuil de Taza. Les Miknassa avaient été abattus mais non réduits. Leur éternelle méthode de repli les avait laissés prêts à reprendre en mains leur fief. La lutte. fut longue et acharnée, mais les Omelades ayant jeté toutes leurs troupes dans cette guerre, Ziri succomba sous le nombre. ZIRI fut chassé du Gharb et de Fès.
La citadelle de Taza, comme le fait se reproduira à toutes les époques de l'histoire ne servit à rien. Ziri vaincu, mais non abattu, se consacra dès lors à se tailler un royaume dans le Moghreb central.
Néanmoins les Béni Atya avaient prouvé leur force par la résistance qu'ils avaient opposée à la coalisation de la dynastie Omelade dans tout l'éclat de sa puissance, et aux multiples tribus berbères. Aussi, lorsqu'à la mort d'El Mansour la puissance Omelade se sentit moins bien assise, Cordoue s'empressa de confier le Gouvernement du Moghreb à El Moezz, fils de Ziri (1003). Le Maroc devait enfin connaître une période relativement paisible et pourtant le seuil devait, une fois de plus, sentir les menaces de la Guerre. El Moezz ayant voulu soumettre les Béni Khazroun de Sijilmassa fut complètement battu et toute la Moulouya tomba aux mains des Béni Khazroun.
Il semble qu'El Moezz endigua le flot au Seuil de Taza dont Hamama fils d'El Moezz, dégagea les abords, mais le Seuil de Taza devait bientôt lui servir de bouclier dans la direction opposée. En 1033 en effet, les Béni Ifren de Salé prirent Fès et furent les maîtres du Maroc pour peu de temps.
Hamama se réfugia à Oujda, où il était abrité par ses partisans du Seuil de Taza; grâce à leur appui, il put, en 1038, recouvrer sa zone d'influence au Maroc.
Nous voyons dans toute l'histoire des Maghraoua la vigueur extraordinaire de leur race. Elle lutta avec un courage remarquable et il semble qu'en outre, elle ait su utiliser le Seuil de Taza de façon parfaite. Elle eut d'autant plus de mérite qu'on s'y trouvait en
concurrence avec les Miknassa.
D'ailleurs, cette dernière tribu semble n'avoir jamais su utiliser les atouts remarquables qu'elle avait en mains. Il semble que les Miknassa ne furent jamais qu'une troupe d'instables. Ils devaient, cependant, perpétuer leurs qualités au travers des siècles, grâce à leurs descendants les Tsoul.
Les Miknassa actuels sont trop arabisés pour avoir gardé la moindre personnalité. Mais les Tsouls ont gardé une réputation solidement établie de voleurs professionnels, qui a fait l'objet de longs développements de la part de Moulieras à une époque, ou pourtant, le banditisme était
courant au Maroc.
Et pour compléter le respect des traditions, les Tsoul ont prouvé par leurs défections et soumissions successives de 1914 à 1925 qu'ils alliaient toujours aussi bien l'amour de la guerre et du butin au sentiment de la sécurité.
Il y a là un cas bien typique de pérennité des caractères raciaux.
Période Almoravide-Almohade
A- Les ALMORAVIDES
En 1060 les Lantouna d'Abou Bakr arrivent par le Moyen Atlas et font leur première apparition dans le Seuil de Taza. Ils vont occuper "les villes de Miknassa". Avant d'attaquer Fès, ils avaient donc commencé par s'installer dans le Seuil afin de pouvoir agir plus efficacement.
Quant aux villes de Miknassa, il semble qu'il s'agisse de Tsoul peut être de Miknassa de Taza. On ne peut faire que des hypothèses sur cette localité dont il est déjà question au Xème siècle. Il faut tenir compte que Taza était devenue Maghraouienne et il se pourrait fort bien que Miknassa de Taza ait eu son développement, d'une part, à ce que Tsoul était assez mal située, et d'autre part, au besoin de la tribu d'avoir un centre qui lui soit propre.
Mais, dés que les Hammadites voient les Almoravides installés en ce point crucial du Seuil de Taza, ils n'oublient pas les luttes qu'ils ont soutenues contre les Maghraoua, lorsque ces derniers avaient ce point d'appui. Ils savent qu'au travers de la Moulouya il est aisé de venir dans le Moghreb central.
Bologguin Ben Mohamed lance une expédition au Maroc. Il traverse le Seuil et vient imposer une domination illusoire à Fès. Les almoravides s'étaient retirés évitant le combat.
Youssef Ben Tachefin qui avait pris la place d'Abou Bekr à leur tête revint dans la région dès que Bolloguin fut parti. Nous le voyons battre toutes les tribus dont le territoire domine le débouché Ouest du Seuil (Maghrila, Sadina, tribus de Sefrou). Puis, venant à l'aide du Gouverneur de Miknassa, Mehdi Ben Youssef, le Gzennal, que Mohannecer, le Maghraoui, serrait de près dans le Seuil de Taza.
Il attaque Fès.
Mohannecer profite bientôt du départ de Youssef pour reprendre Fès. De là, il va écraser le Gzennai qui secondait toujours Youssef en s'appuyant sur la citadelle de Aoussej (nous verrons qu'Aoussej semble être le nom almoravide de Tsoul).
Débarrassés de ce Gzennai qui les avait pris sous sa coupe à la faveur de l'occupation Almoravide de 1060 les Miknassa quittent la tutelle Almoravide et retournent à la vieille dynastie des Béni Abil Afia dont le dernier représentant El Kacem groupe autour de lui les dernières forces anti-Almoravides : Zénètes et Miknassa. Ces troupes devaient remporter la seule victoire qui ait été gagnée par les Almoravides à cette époque, celle de l'Oued Sefir probablement entre Fès et Taza.
Youssef voyant que décidément le Seuil était essentiel pour lui, avant de lancer l'attaque décisive contre Fès, va s'établir solidement dans le pays des Fendloua au débouché Est. Cette ville prise, il s'empressera d'aller éteindre le foyer si inquiétant du Seuil de Taza en réduisant les Miknassa par l'occupation de leur forteresse des Tsoul et la destruction de la dynastie des Abil Afia.
Il est vraiment intéressant de constater que la conquête Almoravide, si foudroyante fut-elle, avait été arrêtée dix ans autour de Fès et du Seuil.
Bien qu'elle eut la précaution de s'assurer un point d'appui grâce au Gzennai, elle avait subi des échecs sérieux et eu de grosses difficultés en raison de la fragilité du pouvoir de ce Gzennai. Les Almoravides n'avaient pu triompher qu'après avoir pris pied de façon plus effective dans le Seuil.
Après la prise de Fès, leur premier soin avait été de liquider la situation du Seuil pour consolider définitivement leur conquête.
Enfin, en 1074 Youssef complétait l'occupation du Seuil en poussant jusque dans les massifs des Ghiatas et des Béni Mekoud (dont les descendants forment un groupe des Béni Ouarain) en plein centre du Moyen Atlas.
Ce fut à ce moment précis que Youssef organisa son empire et le divisa en quatre grands commandements. L'un de ces commandements, celui de Sidi Ben Abi Bekri avait comme éléments essentiels le pays des Miknassa (soit le Seuil de Taza) et les flancs Nord du Moyen Atlas. Taza était-elle le chef-lieu de cette province? On ne peut qu'en faire l'hypothèse. En tout cas El Bekri qui vivait à cette époque ne parle de Tsoul que comme d'un souvenir. Toutefois il ne faut pas oublier, que si Tsoul a été détruite, le Gsennaï a lancé ses attaques à partir de Aoussej. Or, Aoussej, suivant les traditions locales, fut une seconde ville reconstruite à l'emplacement de Tsoul et cette ville fut essentiellement l'oeuvre de Youssef Ben Tachefin.
La vieille Mosquée dont Souma Mkerja tire son nom, aurait été construite par lui. De plus, un certain nombre de pièces d'or datant de Youssef Ben Tachefin auraient été trouvées dans les fouilles.
Enfin on trouve sur la face Est du périmètre probable les vestiges d'une imposante forteresse de 80 ml sur 30 ml, située sur la colline, d'où elle dominait le reste de la ville défunte. Les murailles de cette conception étaient d'une épaisseur et d'une solidité remarquable.
Ne faut-il pas voir là la citadelle d'Aoussej? D'où le Gzennai lança ses attaques contre les Maghraoua ? Il n'est pourtant pas possible d'y trouver un ancien chef-lieu de province qui aurait attiré, l'attention d'El Bekri.
Quant à Taza, nous n'avons sur elle aucun document sérieux. La tradition locale manque tout fait de précision. Certains attribuent l'édification de la grande mosquée et une reconstruction de l'enceintes à Youssef, mais d'autres lui substituent Abdelmoumen. On peut tout au plus supposer que ces deux grands Sultans s'occupèrent chacun à leur tour de développer et de fortifier Taza.
Le silence des textes empêche d'apporter ici les affirmations que nous pourrons émettre au sujet d'Abdelmoumen. Par la suite Youssef complètera ses conquêtes, mais il y a différence considérable avec celles de la période 1060-1074. Ce sont des opérations successives. d'agrandissement que Youssef exécute sans hâte. En particulier en 1080 il ira de Taza Occuper Guercif et Mélilia, pour delà continuer vers l'Est.
Ces opérations sont intéressantes à comparer avec celles de 1779 dirigées par Mazdali le Khazrouni contre les Zénètes du Moghreb central. Mazdali venu directement de Sijilmassa prit Tlemcen, subjuga les Zénètes, mais l'opération fut purement éphémère. La conquête de Youssef faite progressivement à partir de Taza, eut, elle, des conséquences durables.
A SUIVRE ...